ZÉMIRE ET AZOR
Le conte de la Belle et la Bête transposé dans l’Orient des Mille et Une Nuits, par Grétry, l’un des plus importants compositeurs du répertoire de l’Opéra-Comique.
Un marchand perse égaré trouve refuge dans un château inquiétant, à la fois luxueux et désert. Il n’a pas plutôt cueilli une rose à l’attention de sa fille Zémire qu’apparaît, furieux et effroyable, le seigneur des lieux. Le marchand mourra s’il ne livre à Azor l’une de ses enfants…
Marmontel adapta pour le compositeur favori de Marie-Antoinette le conte de La Belle et la Bête, en le transposant dans l’Orient des Mille et une Nuits. Tantôt poétique tantôt comique, l’œuvre suit le parcours initiatique de Zémire et célèbre la pureté de ses sentiments, amour filial et attachement amoureux. Dédicacée à la comtesse du Barry et créée devant la cour, elle connut en- suite un immense succès à l’Opéra-Comique, puis dans toute l’Europe. À la tête de la formation Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie qui joue sur les instruments classiques de 1770, Louis Langrée, directeur de l’Opéra-Comique, rend justice à l’un des plus importants compositeurs de notre répertoire. Au plateau, Michel Fau et Hubert Barrère se font magiciens et conteurs pour un spectacle riche en prodiges visuels et musicaux, tempête, apparitions, métamorphoses, qui ravira petits et grands.
La presse en parle :
« Louis Langrée à la tête de la trentaine de musiciens des Ambassadeurs~Grande Ecurie font vibrer cette musique avec panache et minutie […] » Guillaume Saintagne / Forum Opéra (lire l’article)
« La distribution recèle des pépites, à commencer par Julie Roset […] Dans le rôle de Zémire, la jeune soprano française de 26 ans accroche la lumière par son chant aussi naturel qu’intelligent, léger dans l’aigu, charnu dans le médium, d’une vocalise agile et d’un legato lumineux. La technique au service de l’expression : l’avenir lui appartient. […] » Par Christian Merlin / Le Figaro (lire l’article)
« […] la direction musicale de Louis Langrée, à la tête de l’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie (la production est menée avec Tourcoing), se montre vive, accentuée et efficace. Ses gestes minimalistes et secs permettent la précision, la subtilité et la légèreté des traits, tout en laissant la place pour de grands élans, plus lyriques.[…] » Par Damien Dutilleul / Olyrix (lire l’article)
Avant concert animé par Grégory Guéant
Vendredi 2 février 18h30-19h30
Gratuit sur réservation : 03 20 70 66 66 ou par mail
* Grégory Guéant, agrégé de musique, enseigne l’histoire de la musique, l’écriture, l’analyse et la composition au Département Arts-Musique et Musicologie à l’Université de Lille.
Comédie-ballet en quatre actes de André-Ernest Modeste GRÉTRY (1741-1813) Livret de Jean-François Marmontel
Créé le 9 novembre 1771 au château de Fontainebleau.
Direction musicale Louis Langrée
Mise en scène Michel Fau
Assistant à la mise en scène Mohamed El Mazzouji
Décors Hubert Barrère, Citronelle Dufay
Costumes Hubert Barrère
Assistante costumes Angelina Uliashova
Lumières Joël Fabing
Assistant musical Théotime Langlois de Swarte
Chef de chant Benoît Hartoin
Participation à l’écriture chorégraphique Alexandre Lacoste, Antoine Lafon
Zémire Julie Roset (1er Prix Opéralia 2023)
Azor Philippe Talbot
Sander Marc Mauillon
Ali Sahy Ratia
Lisbé Margot Genet
Fatmé Séraphine Cotrez
Une Fée Michel Fau
Les Génies (Danseurs) Alexandre Lacoste, Antoine Lafon
Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie
Production Opéra-Comique. Coproduction Atelier Lyrique de Tourcoing, Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie
Visuels : Louis Langrée ©Fabrice Robin – Philippe Talbot et Marc Mauillon©Stefan Brion – Michel Fau © Harcourt
Représentations :
TOURCOING, Théâtre municipal Raymond Devos
vendredi 2 février 2024 – 20h
dimanche 4 février 2024 – 15h30
TARIF A
1e série TP 45€ / TR 38€
2e série TP 30€ / TR 26€
– 28 ans 10€ / – 18 ans 6€
Durée : env. 2h15
Dès 8 ans
INTERVIEW DU METTEUR EN SCÈNE : MICHEL FAU
Michel Fau, qu’est-ce qui vous a séduit dans le pro- jet de remonter Zémire et Azor de Grétry ?
Tout à la fois travailler avec Louis Langrée, retrouver l’Opéra-Comique où j’ai déjà mis en scène Ciboulette et Le Postillon de Lonjumeau, et revenir à la forme opéra-comique que j’aime tant. Le fond de l’histoire, à dimension psychanalytique, est passionnant. L’œuvre aborde le mystère de la séduction – ou comment il est possible d’être troublé(e) par quelqu’un de laid. Comme l’écrit Oscar Wilde dans Salomé, « le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort ». C’est un sujet classique en littérature : on peut être séduit par des gens différents, repoussants, qu’en toute logique on devrait détester. Parce que Zémire est toute jeune, et parce qu’Azor est monstrueux, le trouble est ici terrible. Et à double-sens par le défi que la Fée a lancé au prince avant le début de la pièce : « C’est laid et repoussant que tu auras à séduire une femme. » Quels enseignements on peut tirer d’une telle histoire ! Enfin, la musique m’a énormément plu : c’est la condition sine qua non pour accepter un projet lyrique.
Comment se présente le livret, dont Marmontel était si fier ?
L’écriture poétique, magnifique, se déploie dans un respect scrupuleux des règles classiques, avec l’alternance si musicale des rimes féminines et masculines. Le livret a même ceci de particulier qu’il est entièrement versifié : normalement, les dialogues parlés d’opéra-comique sont écrits en prose. Je mène avec les interprètes un travail approfondi sur cet aspect de l’œuvre : il faut établir ensemble la meilleure façon de dire le texte, en cherchant la vérité mais aussi le lyrisme et la folie de cette langue. Ce qui est aussi très beau dans la pièce, c’est qu’elle mélange le tragique et le grotesque. L’univers de Zémire est héroïcomique. Les scènes de farce reposent sur le valet Ali et sur les deux sœurs, dont la futilité prête à rire. Le personnel dra- matique comporte enfin un rôle pathétique, celui de Sander, le père de Zémire, et un rôle tragique, celui du noble Azor, que marquent la malédiction et la fatalité. Cette combinaison est génératrice de contrastes, de variété et de poésie.
Y a-t-il des aménagements à faire dans le texte ?
J’ai fait de légères coupes dans certains dialogues parlés afin d’éviter que les interprètes se retrouvent à chanter ce qu’ils viennent de dire. Pour autant, j’apprécie les répétitions dans le chant, pour l’exercice de variation auquel elles nous invitent. S’il y a répétition, ce n’est pas pour rien. Elles sont à traiter comme les vocalises : il ne s’agit pas de virtuosité, mais de l’ultime mode d’expression lorsqu’on traverse certaines émotions. Je ne conçois pas la technique détachée de l’interprétation : celle-ci doit guider celle-là. Il m’arrive de dire aux acteurs de théâtre : si on ne vous entend pas au troisième balcon, ce n’est pas qu’un prOblème technique, c’est parce que vous n’incarnez pas l’état demandé par le texte.
Comment travaillez-vous avec les interprètes ?
Philippe Talbot et Sahy Ratia, que j’ai rencontrés sur la production du Postillon de Lonjumeau, sont des interprètes formidables. J’admirais déjà Marc Mauillon. Et j’ai découvert Julie Roset. Je suis heureux de travailler avec des artistes qui n’ont pas peur de faire des choses extravagantes ou radicales. Par exemple, le jeu face public, que j’affectionne. Il se trouve que Ciboulette et Le Postillon de Lonjumeau mettent tous deux en scène la façon dont le rôle-titre devient artiste lyrique. On doit alors as- sumer qu’on est au théâtre, et j’ai utilisé le chant face public dans les deux spectacles. De façon plus générale, j’aime ce mode de jeu qui fonc- tionne comme un gros plan de cinéma, et j’en use régulièrement. Ces moments de contact avec le public sont pertinents dans Zémire et Azor. La Bête bénéficie de véritables airs tragiques seule en scène. Il y a aussi cemoment où elle demande à la Belle de chan- ter, de s’offrir en concert. Les airs de virtuosité pure, il faut les assumer : ce sont des shows. À sa création, l’œuvre s’affichait comme un opéra-ballet. Mais les ballets d’opéra, c’est compliqué et lourd : à l’ancienne ça peut être ennuyeux, mais avec un langage chorégraphique moderne cela paraît plaqué. À cet univers féerique, il fallait une chorégraphie à la fois raffinée et acrobatique : je la confie à deux danseurs qui sont les deux génies dansants de la suite d’Azor. Enfin, plus modestement, je joue le rôle de la Fée maléfique, celle qui a envouté Azor. C’est un personnage qui pèse sur toute l’intrigue mais qui n’apparaît qu’à la fin, un tout petit rôle parlé de quatre répliques, bien plus modeste que la diva que j’interprétais dans Ciboulette, mais qui me convient bien puisque c’est moi qui tire les ficelles !
Hubert Barrère fait une infidélité à la Maison Lesage pour créer les costumes et les décors du spectacle.
C’est une idée de Louis Langrée et la perspective de cette collaboration m’a enthousiasmé. Hubert est un spécialiste du corset, or je ne trouve rien de plus beau en matière de costume que cette pièce vestimentaire, longtemps portée autant par les hommes que par les femmes. Le corset est un marqueur du costume aristocratique au 18e siècle : c’est le 19e siècle qui l’a dissimulé et transformé en sous-vêtement. Dans Zémire, je m’efforce de réinventer le 18e siècle, et non de le reconstituer ou de le moderni- ser : je veux en offrir une vision rêvée. Mon imagination travaille àpartir de l’œuvre elle-même. Ainsi, la didascalie initiale mentionne que « la scène est en Perse, alternativement dans un palais de fée, et dans une maison de campagne très simple, sur le golfe d’Ormuz. » Or sur la petite île d’Ormuz, aujourd’hui iranienne, la terre a une couleur si rouge – en raison de la présencede minerai de fer – qu’elle colore l’eau de la mer.
Nous ne pouvions que faire usage d’une telle teinte qui donne son caractère au spectacle. J’aime jouer de la couleur. Pour Ciboulette de Reynaldo Hahn, on passait du noir et blanc à la couleur au moment où l’héroïne entrait en scène. J’aime aussi les contrastes, comme celui que créera l’appari- tion de la Bête, vêtue de noir dans le décor rouge, ou encore ceux que produiront les lumières. Nous opposons le désert, où le commerçant Sander circule librement, et le châteauavec son jardin, où Azor, prince maudit, vit reclus, et où Zémire ac- cepte d’être enfermée à son tour. L’œuvre nous invite aux contrastes avec son jardin magique à la française, mais aussi ses nocturnes et son orage. Je trouve par ailleurs intéressant d’exploiter la lu- mière de la rampe et d’en réinventer les usages : du chaud au froid par exemple, parce que cela produit un jeu plus inquiétant, plus désincarné.
Il s’agit d’un conte : nous voulons mettre en œuvre la magie constitutive de la dramaturgie, et com- biner l’élégance raffinée et la fantaisie avec le moindre accessoire mentionné par le livret (on joue les situations au pied de la lettre) et certaines références qui confinent au cliché. Par exemple, les nuées sont très importantes : toute une scène se déroule pendant un orage ; les protagonistes voyagent sur un nuage… À nous de les réinventer avec des matériaux modernes, sans tomber dans le piège des toiles peintes. En scénographie comme en lumière, voilà ce qui m’intéresse, avec Citronelle Dufay, l’une de mes fidèles collaboratrices, et aujourd’hui avec Hubert : réinventer un 18e siècle de rêve et un Orient de fantasme avec les moyens d’aujourd’hui. L’idée étant d’offrir des écrins aux interprètes.
Et les costumes ?
Là aussi, on joue avec les références qu’on mélange. Le père et le valet sont en costumes plutôt orientaux, alors que la Belle et ses sœurs sont vêtues à la française. Hubert a choisi des étoffes extraordinaires et la Belle a vraiment une robe sublime. Ses costumes tiennent à la fois du 18e et du New Look. Je m’inspire moi-même de ces films qui reconstituaient le 18e siècle avec l’esthétique de leur époque, comme le Casanova de Fellini ou le Don Giovanni de Losey. Le costume de la Bête présente un enjeu particulier. Marmontel tenait à ce qu’il soit assez noble pour accéder à une sorte de beauté. D’après nous, le per- sonnage doit être franchement repoussant, sinon on ne peut comprendre l’effroi de Zémire.
N’oublions pas que son séjour chez lui constitue le châtiment de son père. Nous avons choisi de donner à Azor l’aspect répugnant d’un insecte muni de griffes et de pattes, évoquant le Gregor Samsa de La Métamorphose de Kafka. Bien sûr, nous faisons aussi le rapprochement avec Elephant man tel que la pièce de Bernard Pomerance (créée à Broadway en 1977) l’a mis en scène : un être monstrueux, mais dont la fragilité et l’authenticité éveillent progressivement la compassion. C’est un rôle vraiment tragique. Doué de pouvoirs magiques, sauf pour se libérer de son sort, Azor souffre de son état et rêve de retrouver forme humaine, ce qui n’est pas sans rappeler certains héros Marvel, comme Hulk ou Ben Grimm. Que dissimule sa laideur ? Que révèlera-t-elle si elle se dissipe ? Comment l’épreuve aura-t-elle transformé l’homme qu’il était ? Le personnage est profondément meurtri par l’expérience de la bestialité. C’est formidable d’explorer tout ce que le mythe raconte, et Grétry a composé pour Azor des airs magnifiques.
Comment appréciez-vous la musique de Grétry ?
Grétry est vraiment un compositeur de la fin du 18e siècle, de cette période transitoire très particulière, entre le 17e qui visait au sublime et le 19e qui invente le romantisme. La création musicale s’avère alors plus riche et plus complexe que la création théâtrale : le siècle des Lumières est un laboratoire de genres et de formes musicales.
Grétry est un compositeur assez classique, dont les fulgurances sont vraiment surprenantes. Il a tourné la page de la tragédie en musique des Lully et Charpentier pour revendiquer la simplicité et un art au plus près des mots, des situations et des sentiments. Pour moi, il était aussi conteur que musicien.
Propos recueillis par Agnès Terrier, Dramaturge de l’Opéra-Comique